La lutte de la Culture redécouvre la culture de la lutte !

 

Excellent ce Sellières dans le rôle du Baron-patron avec cette suffisance et sa haine de bourgeois envers le saltimbanque efflanqué ! Fameux aussi ce Raffarin dans ce personnage de notable roublard qui nous fait le corniaud avec son Aillagon tandis que par derrière le rouleau compresseur de la barbarie libérale écrase le public dans la salle ! Bravo, salut les artistes !
Mais avouons qu'ils ne nous surprennent guère et même qu'on les a déjà vus, et même beaucoup vus !
La grande surprise cette fois, c'est les éclairages qui ont été réglés différemment et qui mettent subitement en lumière une question. La question du rôle de la Culture et des travailleurs de la culture sur la scène de la vie.
Nous nous sommes peu à peu convertis à la consommation de produits culturels destinés à des clientèles selon les règles du marché suivant le dogme partout imposé qui fait de TOUT une marchandise.
Au temps de Jean Vilar la culture s'était donnée pour ambition l'épanouissement personnel et l'émancipation collective. On voulait abolir les privilèges, la culture ne sera plus le moyen de la domination confisqué par une élite, la beauté sera pour tous, par tous, d'autres mondes sont possibles. La culture était l'outil de la promesse, l'ascenseur pour l'horizon. André Malraux voyait dans l'art le pouvoir de "révéler à l'homme des grandeurs qu'il ignore en lui-même". Relisez cette phrase et pensez au baron Sellières, à Monsieur Raffarin, à Monsieur Aillagon…

La lutte des intermittents marque le retour de ce refoulé qui est aujourd'hui le rôle social et politique de la culture face à la mondialisation libérale.
La conséquence des annulations des festivals d'été se mesure exclusivement en terme économique. C'est important certes mais ce n'est pas tout. Qui a mesuré les dégâts en terme de beauté, de pensées, de spiritualité ? Qui pour mesurer le déficit d'émotion, de perte de sens, de manque d'esprit ? Qui pour s'alarmer du risque de pénurie de rire, de révolte et d'amour pour les temps qui viennent ?
Et soudain, la lutte des intermittents a redonné à la culture son plein emploi de révélateur sensible des enjeux politiques et sociaux.
Sur la scène on a pu voir apparaître l'essentiel : une ligne. Une simple ligne mais une ligne de front, LA ligne de front qui sépare les deux sociétés qui s'opposent : une société de solidarité ou bien une société de rivalité. C'est la seconde qui est imposée de force partout, par tous les moyens, la guerre de tous contre tous, dans tous les domaines.
Jusqu'où ?
Jusqu'où nous accepterons…

 

Daniel Mermet
Là-bas si j'y suis
juillet 2003